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Songe à la douceur (jusqu’au 30 décembre puis en tournée jusqu’au 6 avril 2023)

le  15/12/2022   au théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris (du mardi au jeudi à 20h, vendredi à 19h, samedi à 17h et dimanche à 15h30)

Mise en scène de Justine Heynemann avec Charlotte Avias, Elisa Erka, Manika Auxire, Luce, Benjamin Siksou et Valerian Behar-Bonnet écrit par Clémentine Beauvais




Deux ados se rencontrent. Lui est vaguement Baudelairien, plein de spleen et d’ennui, elle est timide, idéaliste et romantique. Il a 17 ans, elle en a 14, elle tombe amoureuse - « son regard trébuche sur le visage escarpé d’Eugène » -, alors que du côté du garçon, on ne sait pas encore…peut être. Elle lui écrit une lettre, qu’il lit avec dédain, et dix années passent pendant lesquelles aucune nouvelle n’est échangée. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard dans le quartier latin car « il fallait bien qu’ils se trouvent un jour ». Elle a changé, il s’en aperçoit, et laisse murir en lui la certitude qu’il ne peut plus vivre loin d’elle. Mais l’aimera-t-elle encore ?
A la lecture de ce résumé, plus aucun doute : « Songe à la douceur » est une comédie romantique. Si l’on rajoute les prénoms des protagonistes principaux : Tatiana et Eugène, on est tenté de préciser : comédie romantique russe. « Eloge à la douceur », le roman moderne de Clémentine Beauvais, dont s’inspire la pièce, prend en effet ses racines dans « Eugène Onéguine », l’œuvre littéraire feuilletonnée d’Alexandre Pouchkine, publié entre 1825 et 1832. Mais nous ne sommes plus au 19ème siècle et Eugène n’est plus un dandy pétersbourgeois mais un jeune homme un peu sûr de lui qui regarde avec dédain cette jeune fille naïve qui n’a pas sa maturité. A ses côtés, son fidèle ami Lenski, s'éprend sans réserve d’Olga, la sœur de Tatiana. « En amour, on dit que des deux, il y'en a un qui souffre, l'autre joue... », il le comprendra à ses dépens.
De Pouchkine à Clémentine Beauvais, une étape avait été franchie, Justine Heynemann en franchit une autre en adaptant le roman en comédie musicale. Et quelle comédie musicale ! On y chante, on y danse ! Et l’inspiration est à tous les coins de texte, qu’il soit rimé, chanté ou en prosodie. On songe à Michel Legrand, à Alex Beaupain, et au théâtre grec. L’excellente idée de cette comédie chantée est en effet d’avoir installé une maitresse de cérémonie. Sorte de chœur antique à elle seule, elle commente l’action et, telle un Christian donnant la réplique à Cyrano, souffle parfois les répliques aux amoureux hésitants. Rachel Arditi compose ici un personnage d’ange mutin et tourbillonnant. L’humour et l’autodérision ne sont pas absents de ce fort joli spectacle musical, à l’exemple de cette scène jouée/chantée dans laquelle Tatiana célèbre avec pompe la ligne duveteuse partant du nombril d’Eugène et aperçu lors du soulèvement de son tee-shirt accidentellement entrainé par son pull.
Mais l’apparente légèreté de « Songe à la douceur » n’empêche pas la description fort juste des sentiments d’une adolescence en conflit avec son corps : « Pourquoi ce corps comme une équerre… je ne suis que doigts de pied » raconte Tatiana. Parce qu’ils sont tous égaux dans leur talent et leur pouvoir de séduction du spectateur, on citera ici tous les artistes. Ainsi, le soir de notre venue : Rachel Arditi, déjà mentionnée, qui se partage entre l’adaptation, la narration, et le piano, Elisa Erka (en alternance avec Charlotte Avias), qui incarne une Tatiana tantôt timide, tantôt affirmée, Benjamin Siksou, qui incarne Eugène, le beau taciturne, Manika Auxire, (en alternance avec Luce), toute de séduction, et Valérian Behar-Bonnet, tantôt Lensky, tantôt à la batterie et à la guitare, mais aussi Manuel Peskine, pianiste et compositeur de cette partition qui sait être tour à tour entrainante et parfaitement langoureuse sans être naïve.
Dans la fraicheur extrême de cet hiver précocement entamé, rendez-vous au Théâtre Paris-Villette, où cette belle troupe de comédiens multi talents accrochera un sourire permanent à votre visage, et votre cœur bondira au gré des tourments de ces deux couples intemporels !

Eric Dotter



 
 
 
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