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Premier amour (jusqu’au 3 mars)

le  01/02/2019   au théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris (du mardi au samedi à 19h et dimanche à 11h)

Mise en scène de Sami Frey avec Sami Frey écrit par Samuel Beckett




Tout commence par cette voix, cette belle voix douce et ferme émanant de cet homme en imper gris et sac en bandoulière, qui franchit la petite porte ménagée dans le rideau de fer du théâtre de l’Atelier. Très vite, la voix presque doucereuse tranche avec le propos : l’homme évoque la mort de son père et opère une association entre le décès de son paternel et sa rencontre avec sa future femme.
Mais de quel côté est-il ce fils, lorsqu’il dit « l’odeur des cadavres que je perçois sous l’herbe n’est pas désagréable… peut être préférable à celle des vivants » ? Qu’est-ce donc que cet homme qui affirme « mes écrits n’ont pas le temps de sécher qu’ils me dégoutent déjà, mais mon épitaphe me plait toujours ». Est-ce le protagoniste ou Samuel Beckett qui avance masqué ? Ainsi, parce que le texte est signé Beckett, la rencontre des deux futurs époux n’est pas ordinaire « je lui demandai s’il était dans ses projets de me déranger tous les jours », dit ainsi le protagoniste parlant de celle qui deviendra son épouse.
La violence du texte de Beckett pourrait être juste cynique, mais la magie et la symbiose opèrent immédiatement entre l’interprète, Sami Frey seul en scène, et le texte de l’inventeur du « théâtre de l’absurde ». Le comique apparait ainsi même au détour d’une phrase du plus beau machisme qui soit : « les femmes flairent un phallus en l’air à plus de 10 kilomètres », gommant presque la misogynie provocatrice de l’auteur. Insensible aux sentiments, indifférent aux évènements, ni agacé ni amoureux, le personnage présent fait un constat clinique de la situation, qu’il soit mis à la porte de chez lui à la mort de son père ou qu’il emménage chez sa future femme. Il laisse cependant parfois échapper des notes de poésie, comparant les cuisses de celle qu’il appelle Lulu ou Anne selon sa fantaisie à « deux traversins ».
On se laisse emporter au fil de ce spectacle court, et on reste fasciné par le talent de Sami Frey qui semble inventer le texte minute après minute tant il fait sienne la prose de Beckett. Force et conviction sont des armes que le comédien met en œuvre sur scène pour le plaisir d’un public fort mélangé le soir de notre venue. Nulle trace de colère, nul haussement de voix, le propos en est d’autant plus frappant qu’il est dit avec calme. Si d’aventure on vous dit « elle semblait comme suspendue entre la fraicheur et le flétrissement », acceptez-le comme un compliment si c’est Beckett que l’on vous cite… Si c’est Sami Frey qui vous le dit, la phrase sonnera à vos oreilles comme une déclaration d’amour.

E.D



 
 
 
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