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Cézanne et moi (sur Ciné + Emotion)

Sortie  le  12/01/2022  

De Danièle Thompson avec Guillaume Canet, Guillaume Gallienne, Alice Pol, Deborah François, Sabine Azéma, Gérard Meylan, Laurent Stocker et Isabelle Candelier (sur Ciné + Emotion les 12, 17 et 19/01)


Ils s’aimaient comme on aime à 13 ans : révoltes, curiosité, espoirs, doutes, filles, rêves de gloires, ils partageaient tout. Paul est riche. Emile est pauvre. Ils quittent Aix, « montent » à Paris, pénètrent dans l’intimité de ceux de Montmartre et des Batignolles. Tous hantent les mêmes lieux, dorment avec les mêmes femmes, crachent sur les bourgeois qui le leur rendent bien, se baignent nus, crèvent de faim puis mangent trop, boivent de l’absinthe, dessinent le jour des modèles qu’ils caressent la nuit, font 30 heures de train pour un coucher de soleil... Aujourd’hui Paul est peintre. Emile est écrivain. La gloire est passée sans regarder Paul. Emile lui a tout : la renommée, l’argent une femme parfaite que Paul a aimé avant lui. Ils se jugent, s’admirent, s’affrontent. Ils se perdent, se retrouvent, comme un couple qui n’arrive pas à cesser de s’aimer.

La réalisatrice Danièle Thompson se devait de mieux rebondir après son précédent film, le grotesque et pitoyable Des gens qui s’embrassent, échec retentissant sorti en 2013. C’est chose faite avec cette fresque assez monumentale, l’histoire de la grande amitié dite fusionnelle voire « éternelle » qui a lié en son temps et pendant 35 ans Paul Cézanne et Emile Zola, depuis leur tendre enfance en 1852 jusqu’à leurs brouilles pour cause de divergences de caractère comme d’opinion et d’esprit, à la toute fin du 19ème siècle, en passant par tout ce qu’ils ont plus ou moins bien vécu ensemble pendant l’âge adulte, chacun dans sa catégorie professionnelle, son choix passionnel ou, si vous préférez, sa voie « culturelle ». S’il y a eu belle (et bien) affection et bonne entente (cordiale) aussi sincère que durable entre ses 2 génies, il y a eu également très souvent agacements, énervements, emportements, règlements de compte, vacheries, fâcheries et disputes pour quelques malheureuses lignes « souvenirs » écrites – notamment dans le roman « L’œuvre » de Zola -, pour certaines femmes particulièrement convoitées, pour des histoires de jalousie, de trahison et autres rivalités mal placées, d’autant que l’écrivain a plutôt bien réussi alors que, de son côté, le peintre végète et étouffe, se cherchant désespérément tout en accusant le premier de ne pas le mettre assez en avant et, surtout, de renier son passé de révolté.
Justement, en parlant de révolte, Guillaume Gallienne, qui endosse à merveille le rôle de Paul Cézanne, s’octroie une place de choix dans cette formule assez originale du biopic tel qu’on le connaît (ressemblance faciale trait pour trait en prime), tour à tour tendre, égoïste, solitaire, destructeur, maniaco-dépressif, orgueilleux, méprisant, sans cœur, agressif, bref, l’image de l’artiste maudit on ne peut plus tourmenté sur les bords. Guillaume Gallienne exalte ses sentiments, ses émotions et sa sensibilité en profondeur, alors que l’autre Guillaume – Canet - les garde pour lui, plus en retenu, plus en retrait et pour le moins embourgeoisé (lui, l’homme de gauche !), beaucoup moins expressif (sauf dans les flash-back) que son partenaire dont la flamme se voit dans son regard parfois halluciné. Un parti-pris qui néanmoins ne manque pas de puissance émotionnelle, ni d’un certain panache narratif (« je veux peindre comme tu écris ») et encore moins de dialogues presque théâtraux aussi tumultueux que mouvementés, tout cela au nom de leur intense et « indéfectible » relation !
D’ailleurs, cette sympathie aussi touchante qu’immuable – ils ont foi entre eux malgré les écarts dans leur parcours respectif, leurs éloignements géographiques (l’un à Aix-en-Provence, l’autre à Paris) et leurs « coups de griffe » qu’ils s’envoient mutuellement – se solde par un scénario fort, tourné et même centré irrémédiablement sur leur affection mutuelle (d’où un titre fort explicite qui veut presque tout dire d’ailleurs !), laissant malheureusement peu de chance aux autres protagonistes de s’imposer, que ce soit les femmes (campées par Deborah François plus physique – dénudée – qu’autre chose, Alice Pol à la limite du « bon goût », et Freya Mavor – vue dans le remake de La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil - aussi muette qu’une carpe), les amis artistes (il y a pourtant là Renoir – à qui l’on a déjà fait un biopic réalisé par Gilles Bourdos en 2013 -, Manet, Monet, Pissarro et Picabia), et les tableaux (à peine esquissés et pour la majorité lacérés, éventrés, pour ne pas dire découpés !).
Heureusement qu’il reste les sublimes paysages provençaux et méridionaux – dont ceux de la montagne Sainte-Victoire que l’impressionniste Cézanne a peint à plusieurs reprises – et ici exaltés dans toute leur splendeur (bravo au directeur de la photo !), les lectures de quelques extraits des « œuvres » de Zola, une reconstitution minutieuse de cette époque révolue (on reconnaît au passage quelques décors parisiens réaménagés pour l’occasion !) et une BO majestueuse (celle d’Eric Neveux), pour nous donner envie, nous aussi, de nous mettre soit à la peinture, soit à l’écriture, soit à la photographie ou bien encore à la musique...

C.LB



 
 
 
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