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Le code a changé (sur Ciné + Premier)

Sortie  le  13/06/2023  

De Danièle Thompson avec Karin Viard, Danny Boon, Marina Foïs, Patrick Bruel, Emmanuelle Seigner, Christopher Thompson, Marina Hands, Patrick Chesnais, Blanca Li, Laurent Stocker et Pierre Arditi


Un dîner, c’est la dictature de l’apparence : on se fait beau, on rit, on raconte, on frime, on partage souvenirs et projets. Les angoisses sont cachées sous l’humour et les chagrins étouffés par les éclats de rire. Et pour quelques heures, on y croit ! c’est ça le principal…. Si on a le bon code et que l’on respecte les autres, cordialité, hypocrisie, bonne humeur, on risque de passer une bonne soirée…. Mais les masques tombent dès le chemin du retour.

Ce qui est fort agréable avec la talentueuse réalisatrice et scénariste Danièle Thompson (qui signe ici son 4ème long métrage après La bûche, Décalage horaire et Fauteuils d’orchestre), ce que toutes les différentes situations qu’elle imagine astucieusement et qu’elle met en scène adroitement, au travers de la construction de ses nombreux sujets cinématographiques, s’enchevêtrent et s’imbriquent parfaitement les uns aux autres, ne laissant jamais souffler le moindre répit à ces spectateurs qui passent de l’un à l’autre des protagonistes comme des séquences éclatées et des récits croisés, de telle manière qu’ils ne puissent pas vraiment perdre la compréhension comme le fil conducteur de l’histoire. Elle sait exactement comment placer telle dialogue, lancer telle répartie, diriger tel acteur et monter telle scène sans qu’on ait l’impression d’être complètement dépassé par les évènements qui défilent rapidement sous nos yeux.
Néanmoins, il faut rester à la fois très attentif, bien concentré et toujours en éveil, car ce dîner entre bons amis se déroule de façon plutôt animée pour ne pas dire enlevée, qui vire même de manière assez énergique mais bien loin de celle particulièrement houleuse et violente dans 2 jours à tuer de Jean Becker. Si le rythme est souvent vif, l’ambiance parfois très bavarde (ça parle beaucoup et vite) mais néanmoins assez profond et même un peu mélancolique, et le regard quelque peu hautain, l’action est quand à elle fort savoureuse, assez légère, badine et primesautière tout de même, avec certes un ton condescendant par moment, voire même typiquement pseudo parisien, mais tellement proche de la réalité de tous les jours et de la tragédie quotidienne de la vie sociale à (presque) tous.
On ne peut qu’avoir sûrement vécu ce genre de situations qui font partie de l’existence, avec ces codes de politesse, ces réactions de bienséance et ces appréhensions refoulées, comme s’identifier (ou se reconnaître) inévitablement à travers le portrait et la problématique de ces couples privilégiés et usés, certes en représentation mais en plein malaise ou mal de vivre à l’intérieur, réunis autour d’une table, qui ressemblent à coup sûr à quelques-uns d’entre nous d’ailleurs. Il y a là notamment la femme active speedée (Karin Viard excellente en avocate dirigiste, retord et pugnace), le gentil mari complètement étouffé (Dany Boon génial en chômeur paumé, certes dépressif mais touchant), la gynécologue qui se pose des questions (Marina Foïs fantastique en proie à de nombreux doutes jusqu’à aller prier dans une église), le cancérologue volubile et sûr de lui (Patrick Bruel égal à lui-même, posé et solennel, qui porte beau la cinquantaine), la femme au foyer qui se remet en question (Emmanuelle Seigner qui joue toujours en représentation, coincée et anti-naturelle, alors que Marina Hands, autre partenaire dans le film, est son antithèse, tour à tour décontractée, fraîche et détendue, comme disponible !), le quadra prétentieux et arrogant (Christopher Thompson très à l’aise dans ce rôle de tête à claques antipathique qui critique tout), la pièce rapportée d’un certain âge (Patrick Chesnais impérial en vieux marin désabusé et petit ami de l’un des convives), et le père absent qui fait sa réapparition (Pierre Arditi très en forme pour un « aîné » et qui nous fait sa petite crise de jeunisme malgré sa courte participation à cette grosse entreprise).
Le seul point commun à tout ce beau parterre au parcours chaotique sur un an, en phase de séparation mais qui reste avec l’autre pas forcément pour de bonnes raisons, c’est l’infidélité ambiante, voire chronique pour ne pas dire notoire qui règne ici, où (presque) chacun, faisant plus ou moins semblant d’aller bien pour l’occasion, couche ou a couché avec (presque) tout le monde, ce qui permet de faire face à certaines déconvenues sentimentales (l’émotion est bel et bien présente), et aussi de remettre un peu les pendules à l’heure en coulisses, au moment des « retrouvailles » (avant, pendant et après le dîner), soit en essayant de recoller les morceaux, soit alors en tentant de dire certaines choses, soit enfin en cachant tout bonnement la vérité pas toujours très belle à voir comme à dire. Mais ne dit-on pas que le mensonge protége de l’amour ?
Bref, nous sommes « encore » (et cela pour notre plus grand plaisir !) dans le même état d’esprit et le même style de sujet que précédemment, en face d’une comédie des mœurs actuelle pour le moins irrésistible et franchement jouissive, ainsi que d’un film chorale contemporain particulièrement bien agencé, au casting aussi prestigieux que réussi, à l’univers bien vu, bien écrit et bien interprété, qui ne manque pas de charme, ni d’humour ni de piment et encore moins de gravité, et qui nous montre l’envers du décor avec le rapport au mensonge, les petits travers et autres failles ambiantes chez certains bourgeois qui, en société, vivent exclusivement de dissimulations, de trahisons, de faux-semblants, de lâcheté et d’hypocrisie à longueur de temps, histoire de survivre un temps soit peu !

C.LB



 
 
 
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