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Coluche, l’histoire d’un mec (sur Ciné + Emotion)

Sortie  le  26/05/2022  

De Antoine de Caunes avec François-Xavier Demaison, Léa Drucker, Olivier Gourmet, Laurent Bateau, Jean-Pierre Martins et Denis Podalydès


Automne 1980. Voilà plus de 2 ans que Coluche triomphe tous les soirs au Gymnase, et que ses histoires circulent des cours de récré aux bancs des universités, en passant par les usines, les cafés, les salons ou les prisons. Comme un fil invisible qui se faufilerait à travers le fameux tissu social. L’ex-petite frappe de Montrouge fait rire un peu tout le monde, les opprimés de leurs oppresseurs, et certains des oppresseurs d’eux-mêmes. On peut exploiter le pauvre monde et aimer rire.
Après s’être fait virer de Radio Monte-Carlo pour crime, il est vrai assez tentant de lèse-majesté, l’idée lui vient, soufflée par Romain Goupil que, finalement, la seule tribune où personne ne pourra le censurer, c’est celle de candidat aux élections à venir. Elections dont on attend beaucoup, le principe d’alternance, capital pour une démocratie, n’ayant pas été appliqué depuis 23 ans que la Droite est au pouvoir.
Encouragé par sa bande, puis rapidement par le public, Coluche se lance dans cette folle entreprise, avec une inconscience proportionnelle à son sens de la liberté, sans se douter de ce qui l’attend au tournant, si l’on peut dire. Durant les quelques mois que va durer cette aventure, il va se frotter non seulement à la realpolitik la plus abrupte, mais aussi et surtout à lui-même, où plutôt à une part de lui-même dont il ne soupçonnait peut-être pas l’existence.
Voilà une histoire qui va agir comme un révélateur d’une société, et d’un homme que l’on avait trop vite fait de résumer à son côté de bouffon.
C’est donc tout simplement l’histoire d’un mec soudainement investi d’une mission sans l’avoir demandé et dont le poids va manquer, de peu, de l’écraser. L’histoire d’une métamorphose.


A la question peut-on toucher à une icône telle que Coluche, la réponse est partiellement oui ! Non pas qu’il est interdit de raconter sa vie ou bien tabou d’en effleurer une partie, bien au contraire, mais encore faut-il ne pas trop l’écorner, ni la maltraiter et encore moins la caricaturer. Et apparemment, c’est ce qu’à plus ou moins bien réussi à faire Antoine de Caunes (Les morsures de l’aube, Monsieur N., Désaccord parfait) en tant que réalisateur de ce biopic tant attendu et si décrié, voire controversé. En effet, a-t-on le droit de présenter ce légendaire humoriste sans copier, pasticher et même parodier un peu le mythique Coluche que certains voudraient intouchable ou considérer comme tel, c’est-à-dire inadaptable ? Entendre certains de ses sketches et revoir sa silhouette pittoresque sous les traits de François-Xavier Demaison n’est-elle pas déjà un sacrilège et une certaine faute de goût en soi, puisque l’on connaît ses répliques par cœur comme ses fameux comportements et autres drôles de tenues aussi, et qu’il est difficile de ne pas faire la différence et une énorme comparaison entre les 2 ?
C’est sûr que l’on aimerait revoir le vrai, que rien ne remplacera l’original, l’unique qui n’avait pas son pareil pour « faire plier la France en 4 » et pour « créer le parti d’en rire » ! Mais l’acteur Demaison réussit néanmoins une belle performance, celle de singer adroitement les mimiques, l’accent, l’allure et la démarche de Coluche sans tomber dans le plagiat éhonté, le pastiche outré ou la caricature soulignée. La ressemblance est frappante, certes, et son mimétisme est assez prodigieux pour qu’on le fasse remarquer, d’autant que François-Xavier Demaison est également un comique et aussi imitateur, en plus d’être un comédien (vu dans L’auberge rouge, Disco et Le premier jour du reste de ta vie), ce qui est une véritable aubaine pour un metteur en scène qui traite d’un pareil sujet sur un artiste aussi multiforme que pouvait l’être Coluche. Oui, Demaison copie ses différents tics, gestes et phrasé comme ses différentes expressions et réparties, mais il arrive surtout à nous faire un peu oublier l’autre, et à nous faire croire pendant 1h40 qu’il est bel et bien là devant nous sur l’écran, en chair et en os. Il en va de même pour quelques autres personnages qui ont été très proches de l’humoriste comme le professeur Choron (joué par Gilles Galliot plus vrai que nature), rédacteur en chef d’Hara-kiri, et Reiser (interprété par Alexandre Astier, très convaincant), célèbre dessinateur et caricaturiste pour plusieurs magazines. Par contre, Léa Drucker, qui tente vainement de ressembler à Véronique, la femme de Coluche, manque cruellement d’émotion et de profondeur. Quoi qu’il en soit, il est bien difficile d’entrer dans la peau de tels personnages sans qu’on les modifie ou les bouscule un peu, qu’on les agrémente à sa propre sauce au lieu de celle que le public attend, du moins espère d’eux !
Les évènements, auxquels nous assistons, se déroulent sur une très courte période, entre octobre 1980 et mai 1981, depuis le moment où Coluche, qui cartonne au théâtre du Gymnase, se présente comme candidat aux élections présidentielles, sans véritable programme mais comme porte-parole des opprimés (les écolos, les pédés, les intellos,….), et le moment où il se rend compte que tout ce chambardement le dépasse et prend une tournure, voire une ampleur inattendue, courtisé par le Parti Socialiste, devenu tricard et abandonné pour ne pas dire lâché par le pouvoir en place, ainsi que certains de ses amis après une vague de lettres de menace, de censures et de dénigrements à son encontre. Un bouffon qui dit des vérités, ça peut faire peur à beaucoup de personnes, surtout haut placées !
Alors, véritable canular et énorme coup de pub parfaitement maîtrisé, ou bien réelles dispositions et motivations à vouloir changer les mentalités des français et de « donner un bol d’air au ras du sol » ? Avec 16% d’intentions de vote dans les sondages, il y avait de quoi réfléchir à 2 fois avant de se lancer dans pareille entreprise. C’est ce qu’a voulu dépeindre Antoine de Caunes avec beaucoup de sincérité et de respect mais aussi pas mal de manque de surprise comme de sensibilité dans sa mise en scène conventionnelle, bien linéaire et faite d’un bloc. Voilà un film bien sympathique et de bon aloi sur l’intimité et les doutes du comique préféré des français, mais d’un traditionnel lancinant et d’un classicisme à la Française très conservateur qui accumulent les faits et gestes du « héros » de façon chronologique sans aucune nuance narrative ni subtilité scénaristique. Reste un challenge remporté haut la main par un François-Xavier Demaison bluffant de réalisme (il a même pris 14 kilos pour parfaire l’embonpoint de ce cher disparu !), qui dépasse largement le simple cadre de son propre one-man-show et de ses seconds rôles au cinéma, et un message fort « réaliste » et très représentatif d’une certaine conjoncture toujours d’actualité, à travers un film qui se fait l’écho de ce qui se passe encore aujourd’hui !
P.S. : l'interview d'Antoine de Caunes est dans la rubrique Actu.

C.LB



 
 
 
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