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Jean de La Fontaine : le défi (sur Ciné + Famiz)

Sortie  le  18/04/2021  

De Daniel Vigne avec Lorànt Deutsch, Philippe Torreton, Sara Forestier, Jocelyn Quivrin, Jean-Claude Dreyfus, Julien Courbey, Jean-Pierre Malo et Daniel Duval (sur Ciné + Famiz les 18, 20 et 22/04)


Paris résonne de mille bruits en ce matin du 5 septembre 1661 : Fouquet, le puissant conseiller du roi, est arrêté sur ordre de Colbert. Le jeune Louis XIV devient le seul maître. Alors que les autres artistes, reniant leur mécène, se précipitent au service du monarque tout puissant, un homme se lève pour affirmer son soutien au surintendant déchu, le poète Jean de La Fontaine. Colbert se jure alors de faire plier le rebelle, seul artiste du royaume à situer son art au-dessus du roi. Dès lors, La Fontaine, même dans la misère, ne renoncera jamais à ses convictions. Sans argent, il résiste, s’amuse, observe, écrit les Fables, pamphlets assassins contre un régime despotique. La Fontaine/Colbert, l’affrontement de l’art et du pouvoir…

Les biographies portées à l’écran sont à la mode en ce moment ! Après Amadeux de Milos Forman (il y a de cela quelques années déjà !), puis le très bon Molière sorti en février dernier, c’est au tour de Jean de La Fontaine d’être mis en scène au cinéma, ou plutôt une partie de son parcours chaotique bien en évidence, plus ou moins romancée pour les besoins de ce film. A-t-il écrit ses fables sous l’emprise de la colère pour fustiger un régime en place ? Ont-elles conquis l’opinion publique au point que celle-ci fasse fléchir la décision du roi ? C’est sans doute vrai mais on a tout de même un peu de mal à y croire en voyant cette production consensuelle qui se veut ampoulé mais qui reste très succincte et assez terre-à-terre en définitif !
Jean de La Fontaine, seul artiste à résister devant la pression du roi et les exactions de Colbert, c’est un peu dure à avaler, surtout à cette période où la moindre contrariété du roi pouvait vous permettre de vous retrouver soit en prison, soit en exil. Présenté comme çà, cela parait assez irréel, en réalité très écrit pour le cinéma et pourtant, il y a beaucoup de vrai ! Voilà donc un pan de l’Histoire qui nous est raconté avec beaucoup de précision et de moyens, autant dans la reconstitution d’une époque révolue, dans le choix des lieux montrés et des costumes portés au 17ème siècle, que dans les démêlés rencontrés par notre infortuné héros, poète pauvre, indépendant et fidèle à ses idées, après avoir dénoncé certains abus de la société sous Louis XIV. Réalisé finalement dans un style très classique, ce film est assez bancal, oscillant entre la légèreté narrative et la profondeur d’esprit. D’un côté, il est trop léger, fluide et superficiel, par sa manière de nous conter les (més)aventures de Jean de La Fontaine et d’aborder l’homme dans toute sa soi-disant subtilité, celui-ci se bornant tout compte fait à draguer (coucher serait plus juste !), à boire (le plus souvent possible avec ses amis Molière, Racine et Boileau !) et à chercher un endroit pour dormir (c’est un artiste démuni sans le gîte ni le couvert !) au lieu de réellement écrire ses fables d’une manière pour le moins besogneuses comme on peut le voir (il n’y a d’ailleurs qu’un seul et court passage d’écriture assez explicite sur 1h40 de pellicule !).
De l’autre, il est trop profond, laborieux, condescendant et méticuleux, par sa façon de nous présenter consciencieusement un poète bourré de convictions qui est sensé s’exprimer la plupart du temps avec délicatesse, esprit, charme et précision, et qui en fait parle comme vous et moi, parfois avec vulgarité, n’utilisant que certains vers ou citations pour épater la galerie et ne récitant que des extraits de ses écrits lorsque l’inspiration lui vient, comme un trophée que l’on porterait aux nues. Difficile avec cela de toucher un large public, peu enclin à voir une histoire qui ne tiendrait pas la longueur, craintif de n’assister qu’à une suite de saynètes historiques désinvoltes et d’anecdotes anciennes sommaires, un moyen comme un autre me direz-vous de remplir une idée de départ certes intéressante à la base mais assez mince au demeurant.
Au fond, le réalisateur Daniel Vigne (Une femme ou deux, Le retour de Martin Guerre) semble s’être reposé sur un possible affrontement politique entre 2 hommes sans se soucier des détails vrais ou faux sur la création de ces fameuses fables ni sur le véritable « défi » qu’il y a eu entre eux (se limitant juste à une rencontre rapide dans une calèche et une soirée libertine), les remplaçant le plus souvent par des séquences paresseuses de gaudrioles et de fanfreluches un peu trop répétitives. De plus, confier le rôle principal à Lorànt Deutsch (3-0, Les amants du Flore pour la télévision) est un peu sommaire, n’ayant juste que la jeunesse impulsive, fougueuse et espiègle, et pas vraiment le profil de l’emploi. Certes, il a déjà joué en costume, notamment au théâtre (Amadeus, et L’important d’être constant actuellement), mais l’habit comme l’allure ne lui scient guère ici. Il en va de même pour Julien Courbey en Molière, trop frivole et présomptueux dans son interprétation négligée pour incarner parfaitement ce grand homme de théâtre. Le seul qui mérite sa place, pour l’avoir endossé à maintes reprises au théâtre comme au cinéma, est Philippe Torreton qui lui a vraiment de la présence, de la densité, du coffre et de l’expérience dans la peau de Colbert, l’homme de l’ordre entêté. Quand aux autres, ils cabotinent plus ou moins, Sara Forestier (L’esquive, Hell) en jeune manipulatrice ambitieuse, Jean-Claude Dreyfus (Delicatessen) en bon gros surveillant à la solde de Colbert, Jocelyn Quivrin (Jacquou le croquant, toujours logé à la même enseigne historique !) en monarque sûr de lui, et Daniel Duval en homme de main sournois et emporté. Bref, côté casting, c’est un peu la débandade.
Seuls persistent une reconstitution filmée en scope à peu près fidèle de ce siècle des Lumières avec les rues de Paris, les bords de Loire, Vaux Le Vicomte (de nuit) en générique de début et Versailles (de jour) au final, quelques bons mots pour le moins sporadiques et placés judicieusement ici et là pour donner le change, et enfin des acteurs perruqués et endimanchés pour l’occasion qui donnent assez bien l’illusion d’une période plus ou moins faste mais vivant pour l’ensemble dans une extrême misère !

C.LB



 
 
 
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