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Babel (sur Canal + Cinéma)

Sortie  le  26/03/2022  

De Alejandro Gonzàlez Inarritu avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal, Kôji Yakusho, Adriana Barraza et Rinko Kikuchi


En plein désert marocain, un coup de feu retentit soudain. Il va déclencher toute une série d’évènements qui impliqueront un couple de touristes américains au bord du naufrage, 2 jeunes marocains auteurs d’un crime accidentel, une nourrice qui voyage illégalement avec 2 enfants américains, et une adolescente japonaise rebelle dont le père est recherché par la police à Tokyo. Séparés par leurs cultures et leurs modes de vie, chacun de ces 4 groupes de personnes va cependant connaître une même destinée d’isolement et de douleur…En quelques jours, tous vont faire l’expérience d’un profond sentiment de solitude, perdus dans le désert, dans le monde, et étrangers à eux-mêmes. Tandis qu’ils expérimentent les pires moments de peur et de confusion, ils découvrent aussi la valeur de l’amour et du lien qui unit les hommes…

N’allez pas imaginer un seul instant avoir à faire à une version, moderne ou non, de la Genèse et notamment de la tour de Babel ! On aurait pu le croire, voire même l’envisager car, après l’expérience du film Troie, Brad Pitt aurait pu avoir des envies ou des velléités de remettre une jupette guerrière et de rechausser des sandalettes montantes, histoire d’être plus libre dans ses mouvements pour aller taquiner l’ennemi. Non, ici, c’est une métaphore pour le film et l’ennemi à combattre, c’est l’adversité qui lui tombe dessus par inadvertance, c’est le hasard d’une balle perdue qui par malchance va atteindre sa femme alors qu’ils étaient en train de recoller plus ou moins difficilement les morceaux de leur couple en crise, et cela lors d’un voyage au Maroc. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on le voit pleurer à chaudes larmes sur la photo ci-dessus !
Brad, c’est le pauvre touriste américain tristounet (avec des poches sous les yeux !) qui circule en car dans le désert marocain et qui, après un coup de feu à priori anodin, se retrouve malgré lui au centre d’un bouleversement qui va le dépasser jusqu’à franchir les frontières, touchant de près ou de loin 4 groupes de personnes aux existences et aux origines différentes : une nourrice mexicaine et son neveu, un berger marocain et ses 2 garçons, ainsi qu’une jeune adolescente japonaise et son père. Y a-t-il une corrélation ou un rapport particulier entre toutes ses histoires ? Apparemment oui puisque l’effet papillon, quelque peu revisité, nous est démontré par A + B sur une durée de plus de 2h ! En réalité il est question d’un fusil de chasse donné par le papa japonais à un guide marocain, celui-ci vendant l’arme à l’un de ses voisins berger qui le confie à ses 2 enfants, ses deux-là tirant par mégarde sur un car transportant des touristes et notamment la femme de Brad Pitt. Et la mexicaine et son neveu dans tout çà ? Elle garde les enfants de ce couple américain en vacances et, faute de trouver une remplaçante pour les surveiller aux USA, les emmène au mariage de son fils au Mexique.
Bref, au premier abord, pas une seule des histoires qui nous est présentée ici ne semble vraiment être en adéquation avec une autre, bien que cela soit pourtant le cas puisque le montage nous permet de suivre l’évolution de tout ce petit monde et des évènements qu’ils déclenchent, d’autant que chacun se retrouve dans la même expérience de solitude face aux autres et à eux-mêmes. Le seul véritable intérêt dans cette production pour le moins intimiste, c’est de voir comment le réalisateur Alejandro Gonzàlez Inàrritu et son scénariste Guillermo Arriaga (Amours chiennes, 3 enterrements), qui nous l’avait déjà proposé avec beaucoup de nuance et d’audace dans ses 2 précédents longs métrages (Amours chiennes et 21 grammes), entrelace ses 4 même destinées aussi angoissantes que dramatiques et parfois même tragiques pour certaines, passant de l’une à l’autre avec subtilité et en progression constante comme filmée presque en temps réel.
C’est d’ailleurs sans aucun doute pour cette raison que ce drame désarticulé et poignant a remporté le Prix de la Mise en Scène au dernier festival de Cannes. Par contre, côté casting, c’est plutôt mitigé, partagé entre des acteurs professionnels et d’autres pas mais tous de plusieurs nationalités ! A part l’anglaise Cate Blanchett (Les disparues, Véronica Guérin, La vie aquatique, Aviator) qui dégage une véritable sensibilité et une aura très forte dans un rôle grave certes court mais percutant (celui de la touriste américaine blessée !) et le japonais Kôji Yakusho (L’anguille, Sall we dance ?, Mémoires d’une geisha) dans celui d’un père veuf vaguement énigmatique et pour le moins absent, on se demande un peu ce que sont venus faire l’américain Brad Pitt et le mexicain Gael Garcia Bernal (Amours chiennes – tiens, tiens !, Et ta mère aussi, Carnets de voyage, La mauvaise éducation, The king, La science des rêves), à part donner un bon coup de main au réalisateur et une sérieuse caution aux producteurs.
Il fallait à coup sûr une belle affiche pour tenter d’attirer le chaland dans une salle obscure pendant exactement 2h23 ! On a la nette impression que le réalisateur s’est fait plaisir en allant tourner aux 4 coins du monde, en fait sur 3 continents bien distincts, dans des pays aux cultures diverses et en 4 langues (Maroc dans la vallée du Drâa, Mexique à Tijuana et Japon à Tokyo). En fait, il nous livre une vision contemporaine du mythe biblique réputé être à l’origine du manque de communication entre les hommes, en faisant cohabiter un monde à l’esthétisme hyperréaliste avec une vision onirique de certaines séquences, séparé par des frontières culturelles et linguistiques. Ce n’est pas qu’on s’ennuie à force mais jouer sur les épopées, réactions et dérives de chacun des protagonistes, d’une scène à l’autre, peut lasser à la longue. La juxtaposition de ses histoires est même un peu trop tirée par les cheveux : on se demande ce que vient faire cette jeune fille japonaise (qui joue fort bien) mal dans sa peau, de surcroît sourde et muette et donc quelque peu isolée, dans cette réalisation certes pleine d’audaces narratives mais qui part dans des directions opposées, tout comme également le neveu mexicain, d’abord amical et charmant puis d’un seul coup irresponsable et en colère, qui force un barrage douanier sur un coup de tête. C’est rajouter de nouvelles péripéties sans qu’il y ait une justification particulière à cela ; c’est vouloir nous noyer sous de nouveaux indices sans qu’ils soient utiles et nécessaires pour le bon suivi et la bonne compréhension du reste.
On se laisse tout de même guider nonchalamment dans ce voyage plein d’épreuves, avec une trame tour à tour complexe et débonnaire, vers un final plus ou moins heureux, en happy end comme on dit, pour quelques-uns, et malheureux pour d’autres, et tout cela avec beaucoup trop de coïncidences et sans véritables raisons apparentes. En résumé, un processus de création chronologique original (bien que déjà utilisé maintes fois !), une belle image léchée avec l’utilisation de pellicules et de formats différents (forcément vus les paysages rencontrés !), un casting intéressant et éclectique (à part 2 ou 3 intervenants qui n’apportent rien de franchement transcendant !), et un réalisateur prometteur et ambitieux (mais qui semble être parti dans des sphères existentielles nébuleuses et plutôt alambiquées !).
Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir de voir un film profond et puissant qui tente de prendre le chemin du chef-d’œuvre soi-disant éternel en voulant absolument sortir des sentiers battus et qui essaye de réussir à élever notre âme (de cinéaste averti), certes avec beaucoup d’émotions mais parfois d’une façon maladroite et exagérée, au dessus de la mêlée avoisinante, souvent superficielle et assez à raz les pâquerettes !

C.LB



 
 
 
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