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Lost in translation (sur Canal + Grand Ecran)

Sortie  le  03/07/2023  

De Sofia Coppola avec Bill Murray, Scarlett Johansson, Giovanni Ribisi et Anna Faris


Bob Harris, star du cinéma dont la carrière décline, arrive à Tokyo pour tourner une publicité. Bob a conscience qu’il se trompe : il devrait être chez lui avec sa famille, jouer au théâtre ou encore chercher un rôle dans un film, mais il a besoin d’argent. Du haut de son hôtel de luxe, il regarde la ville mais ne voit rien. Il est ailleurs, détaché de tout, incapable de s’intégrer à la réalité qui l’entoure, incapable aussi, à cause du décalage horaire, de dormir. Dans ce même hôtel, Charlotte, une jeune américaine tout juste sortie de l’université, accompagne son mari, photographe de mode de la jet-set. Ce dernier semble s’intéresser davantage à son travail qu’à sa femme. Se sentant délaissée, Charlotte cherche un peu d’attention. Elle va en trouver auprès de Bob. Entre le comédien d’âge mûr et la toute jeune femme se noue alors une étrange relation : perdus dans cet univers où tout leur est étranger, ils rêvent de changement affectif mais craignent de s’y risquer. Abandonnés à eux-mêmes, insomniaques, sans même se confier vraiment l’un à l’autre, les voilà qui errent dans Tokyo la nuit. Cette émouvante brève rencontre redonnera-t-elle un sens à leurs vies ?

C’est sans aucun doute possible l’une des meilleures surprises cinématographiques de l’année 2004 ! Si vous aimez les films qui sont capables de vous toucher au plus profond de vous-même sans en rajouter des tonnes ou sans trop appuyer délibérément sur votre corde sensible, alors vous allez à coup sûr adorer cette petite histoire romantique étrange et fantastique d’un nouveau genre, à part les traditionnels films américains qui traitent du même sujet. Avec peu de dialogues mais justes ce qu’il faut pour garder un certain rythme, des images léchées, sorte d’instantanées volés ici et là pour donner un petit aperçu fort agréable et très personnelle d’une ville et d’une faune méconnues pour la plupart d’entre vous, le tout baigné dans une ambiance pour le moins singulière, nonchalante et évanescente, et entouré d’acteurs parfaits et complètement crédibles dans leur rôle respectif, vous ne pourrez que tomber sous le charme de cette rencontre amoureusement innocente et merveilleusement réalisée.
Il est vrai qu’il est bien difficile de rester insensible devant la finesse et l’émotion qui se dégagent de ses 2 êtres paumés et hébétés dans un coin du monde qu’ils ne connaissent pas. La grande force de ce film, c’est qu’il n’essaye pas à tout prix de délivrer un message quelconque ou de critiquer en se moquant délibérément des différences entre 2 cultures, langues et mentalités assez opposées, mais plutôt de projeter des personnages qui n’ont rien de commun entre eux dans un univers inconnu et bigarré pour voir comment ils vont réagir, tout en se rapprochant l’un de l’autre. Confrontés à un rythme de vie qui n’est pas le leurs, ils vont se retrouver dans des situations tour à tour comiques, saisissantes, angoissantes, fascinantes et poignantes, notamment lorsqu’ils découvrent les coutumes et rites japonais avec leurs côtés si particuliers, parfois incompréhensibles pour nous tels que leurs anachronismes, leurs ambiguïtés ou leurs divergences d’esprit, capables d’en dérouter plus d’un. Pour ses 2 étrangers, Tokyo est à la fois un émerveillement total, doublé d’un dépaysement assuré, sans pour autant qu’il y ait une véritable visite guidée de la ville ou du pays, et le moment de faire un petit point sur leur existence respective, un break qui va leur permettre de remettre en cause un certain nombre de sensations et de réflexions intérieures.
Si l’un, acteur entre 2 âges légèrement sur le déclin et en pleine crise de la cinquantaine, fuit un peu tout le monde et notamment ses responsabilités puisque son couple bat de l’aile, l’autre, tout juste diplômée en philo et mariée à un photographe accaparé par son travail, s’interroge sur sa vie future en essayant de se raccrocher à quelque chose ou à quelqu’un pour ne pas sombrer dans l’inactivité et la léthargie la plus complète. Dans cet hôtel de luxe immense où ils vivent pratiquement en autarcie, nos 2 protagonistes, « perdus dans la traduction » d’un pays qu’ils ne décryptent pas (ou à peine), vont se croiser à plusieurs reprises sans s’aborder mais tout en s’épiant l’un et l’autre, avant de s’accoster enfin et de passer quelques moments de complicité amicale ensemble, noyés dans la froideur et le gigantisme de cette ville chaotique et tentaculaire. Cette rencontre de hasard, plus proche de la relation d’amitié au bord du flirt, va peu à peu les dévoiler l’un à l’autre et surtout les révéler à eux-mêmes. On sourit souvent face à leurs expériences intimes, ainsi que devant leurs réactions face à cette ville incongrue, constamment illuminée de néons colorés et de nouvelles techniques de communication, où les gens essayent de s’amuser comme ils peuvent dans tous les excès possibles, tout en respectant les mœurs et traditions ancestrales comme entre autre le respect, l’honneur et les gestes de politesse (ou de soumission, allez savoir !).
La réalisatrice Sofia Coppola a parfaitement su restituer cette texture romantique et nostalgique qui se dégage de ce « couple », telle un agréable souvenir de voyage, tout comme elle a réussit à nous traduire en images cette atmosphère d’étouffement et de décalage horaire vécue dans ce Japon intemporel et impersonnel qui semble vivre à un tout autre rythme que nous. On retrouve ici un peu de la patte de son premier long métrage, Virgin suicides, avec cette ambiance particulière et ce léger suspense sous-jacent qui se déroulent sous nos yeux. Sofia Coppola arrive à nous surprendre juste avec un simple regard, un léger mouvement, juste un mot ou un court dialogue entre nos « 2 héros », comme si tout ce ballet entre eux, tel un jeu de séduction presque immobile, contenait la solution ou la réponse à une sensation ou un sentiment précis.
On ne peut qu’être envoûté par la prestation de Bill Murray (Sex crimes, Broadway 39ème rue, Charlie et ses drôles de dames, La famille Tenenbaum) en homme d’âge mûr d’une grande sensibilité et très pince-sans-rire, avec ses étonnements de petit garçon et ses airs constamment détachés devant certaines extravagances japonaises, exactement comme celle de Scarlett Johansson (L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, The barber, Ghost world) qui grâce à sa délicatesse, sa réserve et son petit air mutin, nous chavire autant les yeux que le cœur et l’âme. N’oublions pas non plus de saluer au passage les performances de Giovanni Ribisi (Il faut sauver le soldat Ryan, Basic, Intuitions, Lost highway, 60 secondes chrono) en photographe concentré sur son métier et ses futilités, et d’Anna Faris (Scary movie 1, 2 & 3) en jeune actrice complètement nunuche et sans aucune profondeur d’esprit.
Bref, il y a de quoi être pris sous l’emprise de cette comédie d’amitié romantique d’un autre style qui nous sort heureusement un peu des sentiers balisés de l’amour dépeint habituellement au cinéma ! Voilà donc une production finement observée, d’une grande discrétion, pleine d’humour, d’une naïveté touchante et sans aucune prétention. C’est vrai qu’il y a vraiment de quoi tomber amoureux aussi bien des personnages plus vrais que nature, que de leur histoire quasi amoureuse, cet échange intimiste somme toute plein de réserve. Enfin, un film qui respecte l’intelligence des spectateurs et qui redonne goût et plaisir à aller au cinéma !

C.LB



 
 
 
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