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Cyrano (sur Ciné + Emotion)

Sortie  le  21/11/2023  

De Joe Wright avec Peter Dinklage, Haley Bennett, Kelvin Harrison Jr., Ben Mendelsohn, Bashir Salahuddin, Monica Dolan et Mark Benton


Cyrano De Bergerac est un homme bien en avance sur son temps qui brille autant par la dextérité de sa répartie que par celle de son épée. Mais persuadé que son apparence le prive à jamais de l’amour de celle qui lui est chère, la resplendissante Roxanne, il ne se résout pas à lui avouer sa flamme, la laissant ainsi succomber aux charmes du beau Christian.

« Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Fait-elle envie ou bien pitié ? Je n’ai pas le cœur à le dire… », chantait magnifiquement Jean Ferrat dans sa merveilleuse chanson « On ne voit pas le temps passer ». C’est justement le genre de questions auxquelles on est en droit de se poser à la vue de cette nouvelle adaptation cinématographique (après celle de Jean-Paul Rappeneau en 1990 mais cette fois dans une interprétation du style comédie musicale) de la très célèbre pièce d’Edmond Rostand. Cette dernière est d’abord une œuvre magistrale, écrite dans une langue admirable – la nôtre, pardi ! – et puis, ensuite, un formidable drame autant historique que romantique sur fond de triangle amoureux entre un officier de l’armée française, une belle femme et un nouveau cadet séduisant, ainsi que d’histoires autant de sentiments que de séduction autour de lettres superbement écrites par un fin lettré.
Alors, pourquoi le réalisateur anglais Joe Wright s’est-il tant acharné, pardon, « amusé » à contourner cette version en la parodiant, voire la caricaturant odieusement, à la fois visuellement – la fameuse difformité d’apparence physique est passée du nez proéminent au nanisme, handicap monstrueux selon les dires de son personnage principal, Cyrano, dont le titre s’amuse pourtant à allonger ostensiblement le R ( !) -, et verbalement – un grand nombre de tirades originales passent à la trappe au profit des chansons certes joliment troussées, douces et ensorcelantes à souhait, mais ne restituant d’aucune façon la beauté du texte initial ? Alors oui, on a du mal à croire aux prouesses de ce Cyrano-là (sous les traits de Peter Dinklage, de la fameuse série Game of thrones) lorsqu’il se bat l’épée à la main – et gagne bien trop aisément même devant plusieurs assaillants -, lorsqu’il chante en déclamant du rap lors d’un duel – sans s’essouffler nullement ! -, et lorsqu’il se présente mal rasé, les cheveux en bataille et les yeux de basset devant Roxanne dont il est profondément amoureux – il y a de quoi être « indigne » et en répugner plus d’une ! -.
Quelle idée saugrenue a bien pu germer dans l’esprit pourtant avisé de Joe Wright pour nous proposer sa vision revue et corrigée de Cyrano, lui qui nous avait tellement séduit avec Orgueil et préjugés, Reviens-moi, Le soliste, Anna Karénine (déjà chanté), et Les heures sombres ? Certes, sa mise en scène est de qualité, somptueuse et riche quoiqu’un peu trop opulente voire chargée, mais à quoi bon avoir voulu dénaturer l’esprit de Rostand en rajoutant de la danse sous forme de ballets, de la musique et des chants toutes les 5 minutes, ainsi que des séquences empruntes d’empressement et de naïveté. Il suffit de voir Roxanne (jouée par Haley Bennett, vue dans La fille du train, L’exception à la règle, Swallow, Une ode américaine et, accessoirement, compagne du réalisateur) en jouvencelle espiègle, futile, gâtée et frivole, aussi snob qu’insensée, pour comprendre qu’elle ne s’intéresse à rien d’autre qu’à l’esprit des autres, que l’on soit grand ou petit, beau ou moche, blanc ou noir (et c’est le cas de Kelvin Harrison Jr., alias Christian).
Si de plus on décide de passer certains raccourcis narratifs et le fait que Cyrano n’est bon qu’à écrire des lettres et des lettres susceptibles de produire un effet, c’est-à-dire une jouissance ou, si vous préférez, une excitation débordante chez celle à qui ses missives sont destinées - tout en volant au passage des pommes dans un camp adverse -, alors Cyrano à la sauce anglo-américaine se laisse regarder sans (grand) déplaisir, à partir du moment où l’on aime la fiction, pas vraiment cohérent ni complètement d’époque mais néanmoins romancée à l’extrême…

C.LB



 
 
 
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