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Amen (sur Canal + Grand Ecran)

Sortie  le  22/03/2024  

De Costa-Gavras avec Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz et Ulrich Mühe


2 systèmes : d’un côté, la machine nazie, de l’autre, la diplomatie du Vatican et des alliés. 2 hommes qui luttent de l’intérieur : un officier SS, Kurt Gerstein, et un jeune jésuite, Ricardo Fontana.

Il existe des films difficiles, des œuvres nécessaires abordant des sujets délicats, qui méritent vraiment toute notre attention. Même si cette réalisation traite d’un cas très particulier qui s’est déroulé pendant la Seconde Guerre Mondiale, résultant de la mort de millions de juifs, déportés dans des camps de concentration, il ne faut pas crier « encore un film sur ce sujet », ni avoir de frayeurs ou de préjugés négatifs avant de l’avoir vue. En effet, cette production relate un fait divers réel qui est survenu pendant cette période, celui d’un officier nazi qui a essayé de prévenir le monde de l’effroyable machine de mort qu’avait mise en place Adolf Hitler, secondé dans cette opération par un jeune jésuite en relation avec le Pape.
Avec beaucoup de subtilité, le réalisateur Costa-Gavras (Z, L’aveu, Etat de siège, Section spéciale, Missing, Music box) n’a pas voulu porter un jugement sur ce qui s’est passé, comme un simple documentaire historique à la manière du film L’œil de Vichy de Claude Chabrol. Il a préféré dépeindre les faits tels qui se sont réellement passés sans tomber dans un sentimentalisme exacerbé ou dans une dramatisation à outrance. Avec une retenue qui confine à la pudeur, son propos terrible sur les camps est présenté en grande partie par des dialogues, loin de toute violence visuelle gratuite.
En effet, même si on ne sort pas indemne de ce film, ce n’est pas à cause de possibles images violentes (on ne voit ni les camps, ni les victimes, ni les horreurs), mais grâce à un montage et un processus de narration qui privilégie les mots plus que les faits. La seule évocation de ce qui se passe, c’est la vue de ces trains vides, portes grandes ouvertes sur des paysages aérés. On apprend au fur et à mesure de l’histoire que tout le monde savait ce qui se passait mais que personne n’a réagit. Les alliés et notamment les américains étaient au courant mais n’ont jamais bombardés les installations d’extermination et n’ont pas faits dérailler les trains : ils ont tournés les yeux et ont regardés ailleurs pendant toute la durée de la guerre.
On l’apprend d’ailleurs en voyant cette histoire dramatique : cette quasi totale indifférence, forme soft de la complicité, n’a pas commencée au moment des camps, ne s’est pas arrêtée à la fin de la guerre et n’a pas grandit pendant celle-ci. Une attitude monstrueuse et inhumaine qui a encore des répercussions partout dans le monde : il suffit de voir certains états qui se sont habitués aux monstres comme dernièrement pendant la guerre en ex-Yougoslavie (procès en cours du tyran Slobodan Milosevic). Un des états qui a aussi fait la sourde oreille fut le Vatican et sa sainteté Pie XII, un pape complètement abstrait. Son appareil de pouvoir n’a pas réagit non plus aux plénipotentiaires qui réclamaient une réaction, une voix contre les peuples opprimés. Le Vatican a eu peur de troubler son sommeil par ces histoires de juifs gazés et brûlés. L’église pensait davantage à sa survie qu’à sa raison d’être. Ah, si Jean-Paul II avait été à sa place à l’époque, ça se serait passé peut-être différemment, même en tant que polonais !
Les 2 protagonistes du film, un SS criminel et un homme d’église complice, vont rompre avec leur système respectif en tentant d’alerter le Vatican et les alliés. Cette lutte, qui n’empêche pas la machine de mort de fonctionner, finit presque par être une action pour eux-mêmes, une dénonciation pour eux-mêmes. Malheureusement, tout ce qu’ils entreprennent se retourne contre eux. Autrement dit, même du bien peut naître le mal. Dans cette situation aussi peu productive d’espoir, ils font malgré tout fait passer leur conscience avant leur sécurité. Car au final, le complicité comme l’indifférence, c’est la peur. Cette adaptation de la pièce de théâtre Le vicaire de Rolf Hochhuth met en avant, en plus des mots, la difficulté de la lutte, de l’action contre un système qui détruit toute l’humanité. Le film repose sur 3 piliers fondateurs : le personnage réel de Kurt Gerstein (interprété par l’excellent Ulrich Tukur) dont nous suivons le parcours et l’action sans toutefois faire sa biographie ; Riccardo (joué par Mathieu Kassovitz), personnage de fiction, composite de différents prêtres ; et enfin, le 3ème personnage, l’Histoire et son auxiliaire, le cynisme incarné par le docteur (le sublime Ulrich Mûhe) qui survivra à tout et à tous.
Le film regarde beaucoup les visages des témoins, décrypte leurs rictus, leurs moindres mouvements et leurs actions. Ce n’est pas le personnage qui est le sujet du film, c’est l’Histoire. Les personnages servent à éclairer le sujet. Ce n’est pas non plus un film sur le passé mais sur aujourd’hui, qui fait un détour par le passé par ce que nous connaissons et ce que nous avons plus ou moins digéré et assumé depuis. Le film met le doigt sur cette question qui se pose à nous à chaque instant de notre vie : à quel moment doit-on redevenir un personnage éthique ? Le film démarre sur cette passivité et finit sur une même impression de négligence.
Avec émotion, ce film bouleversant restera un témoignage subtil et pertinent pour tous ceux qui ne connaîtraient pas notamment l’existence de ces rares personnages qui ont essayés d’une manière ou d’une autre de faire bouger les choses et le monde. Voilà un film qui remplit une mission mais qui aura sans doute du mal à se faire l’écho auprès d’un large public !

C.LB



 
 
 
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