en 
 
 
cinema

 
 

- BD : La voix des bêtes, la faim des hommes de Thomas Gilbert aux éditions Dargaud

le  26/05/2023  





L'an mille, dans les Causses du Quercy. Comme tant d'autres à cette époque, Brunehilde est nomade. elle parcourt les routes du royaume, faisant halte dans les villages pour proposer ses services, indifférente aux rumeurs qui l'accompagnent. Car Brunehilde est guérisseuse.... et meneuse de loups. Elle vit à la fin du Moyen Âge, cette période incertaine où le christianisme combat intensément pour gagner les populations, essentiellement rurales. Considérée comme une sorcière, elle doit se méfier des brigands, des bêtes, des esclavagistes, de l'accueil des villageois, parfois.
Quand elle arrive dans cette vallée forestière du Sud-Ouest de la France, elle découvre avec effarement l'indigence des villageois, dévastés par la faim et la maladie. Elle apprend aussi une situation terrible : des gens et surtout des enfants sont atrocement tués dans les bois, mutilés, et le village est persuadé qu'un démon cruel ou un loup-garou sévit. Brunehilde refuse d'y croire : elle sait que, la plupart du temps, ce sont les hommes qui transgressent les lois du monde et tuent par plaisir ou par folie.
Première suspecte, Brunehilde, aidée de Paulin, un vague commerçant itinérant croisé en route, est vite obligée de mener l'enquête sur ces meurtres.

La voix des bêtes, la faim des hommes est un roman graphique sombre, intense et captivant. Dans une postface, Thomas Gilbert précise que "avec ce livre, il espère clore un cycle sur la violence et l'injustice". Une nouvelle fois donc, après Les sorcières de Salem et Nos corps alchimiques, l'auteur plonge dans l'âme humaine pour en extirper les tourments. Dévoilant ici "une part d'animalité enfouie en chacun de nous", il aborde de manière plus générale, les rapports entre l'homme et la nature, les croyances, la religion et la folie.
Le récit qu'il imagine est parfaitement maîtrisé, solidement documenté et porté par des personnages complexes soigneusement travaillés. A la puissance du scénario, répondent une maîtrise graphique époustouflante et une mise en couleurs éblouissante, et c'est incontestablement une des forces de l'album. Très vif, le dessin est également incroyablement expressif : les visages et les regards sont saisissants, traversés par une palette d'émotions.
Et quand la folie se déploie dans des scènes fantastiques flamboyantes, on est tout à la fois captivé et effrayé. Un album magistral de 180 pages !

-L'auteur : Né en 1983, Thomas Gilbert passe une année aux Beaux-Arts de Paris et trois ans à Saint-Luc (Bruxelles), en option bande dessinée, avant de commencer sa carrière d'auteur, en 2009, avec la sortie du premier tome de deux séries : "Oklahoma Boy" (Manolosanctis) et "Bjorn le Morphir" (Casterman).
Ses premières influences sont à trouver du côté de "L'Association", qui lui ont permis de comprendre l'importance du point de vue de l'auteur sur la construction du récit. Aujourd'hui, ses sources d'inspiration se retrouvent, entre autres, dans les univers de Taiyo Matsumoto ou de Michael DeForge.
Depuis, il a dessiné plusieurs albums jeunesse ("Nordics", Sarbacane) et signé en solo des projets plus personnels pour adultes ("Sauvage ou la sagesse des pierres" , Vide Cocagne) .
Dans ses albums, Thomas recherche un lien fort avec le lecteur en creusant des questionnements qui l'interpellent, en espérant le remuer, lui faire partager ses émotions, son énergie.
Il a travaillé à l'atelier Mille, à Bruxelles, un endroit partagé avec d'autres auteurs de bandes dessinées comme Jérémie Royer, Émilie Plateau, Léonie Bischoff, Nicolas Pitz, Flore Balthazar, Tiff et Monsieur iou.
En 2018, il sort "Les Filles de Salem", chez Dargaud, qui sera adapté en format poche courant 2022 par ce même éditeur. Une plongée passionnante et terrifiante dans l'univers étriqué et oppressant de la colonie de Salem, en Nouvelle-Angleterre, au 17e siècle.
Pour cet album, Thomas Gilbert s'est intéressé de manière personnelle et engagée à un événement marquant de l'histoire américaine : le procès des sorcières de Salem.
Très documenté, son travail lui a permis, au-delà du récit des faits, de questionner des thématiques qui lui sont chères comme l'enracinement insidieux de la haine au coeur du système moral et judiciaire dans nos sociétés dites modernes ou progressistes.
En 2021, il publie "Nos Corps alchimiques " (Dargaud), où il s'intéresse à un trio amoureux à la recherche d'une révolution des corps et des esprits. Un album aux thématiques puissantes et actuelles.
En 2023 chez Dargaud, dans la veine des "Filles de Salem", "La Voix des bêtes, la faim des hommes" offre un récit, digne d'un polar, au Moyen Âge, fantasmatique, ténébreux et éclairant, sur les croyances et les vies de nos ancêtres.



 
 
 
                                                      cinema - theatre - musique