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La cabane de l’architecte (jusqu’au 30 novembre)
le 15/11/2025
au
théâtre de l’Epée de bois/Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre 75012 Paris (du jeudi au samedi à 21h et dimanche à 16h30)
Mise en scène de Jean-Luc Paliès avec Oscar Clark, Mandine Guillaume ou Magali Paliès, Jean-Luc Paliès, Claudine Fiévet et Bruno Béraud écrit par Louise Doutreligne
Comme le raconte Louise Doutreligne, l’autrice de « La cabane de l’architecte », tout est parti d’une rencontre. A l’issue de la représentation d’une de ses précédentes pièces consacrée à Le Corbusier, un homme se présente à l’autrice. Il se nomme Roberto, ou plutôt Robertino (le petit Roberto), Rebutato. Il a connu Le Corbusier de près. Louise l’autrice, et Robertino le proche de Le Corbusier vont échanger des heures durant car l’histoire de cet homme désormais âgé (il était né en 1937 et décédé en 2016) est fascinante. C’est cette histoire que Louise Doutreligne entreprend de nous narrer sur le plateau du théâtre de l’Epée de Bois. Une structure en forme de voile sur laquelle sont projetées des vidéos, et une silhouette esquissée derrière le décor : c’est Charles-Edouard Jeanneret dit le Corbusier. Nous sommes le 27 aout 1965, Le Corbusier vient de mourir, et son ami, celui qui l’a rencontré pour la première fois en 1949 quand il avait 12 ans, quitte Venise vers les routes du Sud de la France pour rejoindre la dépouille de celui qui vient de se noyer quasiment au pied du minuscule cabanon où il avait élu domicile lors de ses séjours à Roquebrune, Cap Martin. De manière très fluide et évidente, la pièce déroule en parallèle deux récits : le cheminement par étapes de Robertino accompagnant la dépouille de son ami et maître vers sa dernière demeure, et le récit du périple ayant amené ce fils de plombier-restaurateur à monter à la capitale pour travailler dans l’atelier d’architecture d’un des plus grands architectes du XXème siècle. Tout a commencé par une rencontre là aussi : nous sommes en 1949 et Le Corbusier est intrigué par ce jeune garçon curieux qui passe ses vacances comme serveur à «L’étoile de mer », le restaurant de son père que l’architecte et sa femme Yvonne fréquentent assidument. Il a déjà 62 ans, est déjà très connu et le jeune Robertino est avide d’un savoir que « Corbu » lui dispense parfois avec rudesse. C’est que l’architecte n’est pas un homme facile, et s’il aide Robertino, y compris financièrement, il veut que sa carrière se fasse pas à pas et pas question pour lui de le parachuter immédiatement dans son agence de la rue de Sèvres : il sera d’abord manœuvre sur un chantier, puis expert en béton précontraint. Et surtout, surtout, pas question pour le jeune homme de suivre une voie académique : « si tu fais l’école, ils te tueront », dit le maitre à son élève. D’année en année, Robertino monte les échelons, tandis que Le Corbusier a squatté un terrain accolé à l’étoile de mer pour y construire un minuscule cabanon de 3,66m par 3,66m, sans aucun confort moderne. Le rapprochement du couple Le Corbusier avec Robertino, leur enfant spirituel, est ainsi symboliquement établi. C’est en effet de transmission que parle « La cabane de l’architecte » car Robertino Rebutato, le petit garçon aux origines modestes, deviendra à son tour un architecte. Elles sont rares, très rares les œuvres de fiction traitant d’architecture, et encore plus rares au théâtre. L’entreprise, de bonne facture, ne peut donc qu’être louée : Le Corbusier existe au-delà du mimétisme physique adopté par Jean-Luc Paliès qui l’incarne. Pour interpréter Robertino, le choix de la mise en scène a été de le faire incarner par un duo : une femme incarnera le jeune garçon, et un homme, Roberto Rebutato, devenu adulte : un choix judicieux et plutôt convaincant. De multiples autres rôles sont interprétés au fil du récit par les cinq comédiens, et ça fonctionne plutôt bien. Ce qui en revanche ne marche pas du tout, ce sont les choix esthétiques en termes de musique et de vidéo. La bande son est souvent sur-signifiante et la vidéo semble parfois erratique. Malgré tout, le plaisir n’est en aucun cas gâché et on rend grâce à l’autrice et à ses comédiens d’avoir su accoucher d’un récit limpide et intéressant. Pas besoin d’être un féru d’architecture pour comprendre ce qui se joue d’humain sur le plateau, et même si l’on croit identifier quelques architectes dans la salle, le spectacle est vraiment tout public. Se sentant vieillir, Le Corbusier s’inquiétait auprès de Roberto du devenir de son cabanon. Qu’il soit rassuré, il a été préservé et fait partie d’un ensemble que l’on peut désormais visiter, comprenant, outre l’Etoile de Mer et le cabanon, la villa E 1027, conçue entièrement par Eileen Gray, dans laquelle Le Corbusier avait ses habitudes et dans laquelle il peignit des fresques. Nul doute qu’à la sortie de la pièce, vous aurez envie de vous rendre aussi au Cap Martin.
Eric Dotter
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