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Panique dans le seizième (jusqu’au 17 décembre)

le  22/10/2025   au Théo théâtre, 20 rue Théodore Deck 75015 Paris (les mercredis à 19h30 sauf le 05/11)

Mise en scène de Anne Veyry avec David Ruellan et Béatrice Vincent écrit par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot




Nous sommes en 2016. La mairie de Paris projette de construire un centre d’hébergement d’urgence pour personnes sans -abri à la lisière du bois de Boulogne. Sur les 76 centres que compte la capitale, aucun n’est alors implanté dans le 16 ème arrondissement. Grosse colère des habitants de ce quartier huppé de Paris, et début d’une longue série d’incidents. Peut-être en avez-vous entendu parler à l’époque mais cet évènement a eu en tout cas deux observateurs privilégiés en les personnes de Monique et Michel Pinçon- Charlot, alias les « sociologues des riches ». De cet évènement, ils ont tiré un ouvrage « panique dans le 16 ème » qui sera mis en dessins sous forme de récit graphique. C’est aujourd’hui au tour de la scène de s’emparer de ce récit épique à bien des égards.
Sur le petit plateau du Théo Théâtre, ils arrivent tous deux à la réunion d’information ce 14 mars 2016. Duo de sociologues ou couple à la ville, ou peut-être les deux, ils débarquent collés l’un à l’autre, sac à dos et tenue d’explorateurs. David Ruellan est Michel et Béatrice Vincent, Monique. Pas à pas, avec précaution, ils pénètrent dans la salle où se tient la réunion. Et là, surprise, la bourgeoisie corsetée fait sauter les boutons, et l’ambiance est agressive, électrique. Ulcérés qu’ils soient de voir menacé leur entre-soi, les habitants se lâchent. Les slogans fusent : «Non à la jungle oui au bois » et les insultes pleuvent, visant pêle-mêle l’architecte du projet, la mairie de Paris, la préfecture et Ian Brossat, l’adjoint (communiste !) au logement de la mairie de Paris : «staliniens ! Dictateurs !! Salopards !!!». Les noms d’oiseaux fusent visant ceux qui sont accusés de vouloir faire payer leur statut social aux habitants de cet arrondissement rupin. De réunion, en réunion, l’ambiance ne s’apaisera pas et la guerre de tranchée entre les édiles et la population se poursuivra.
Les deux comédiens, extrêmement fidèles au texte des deux sociologues, dont ils n’ont pas changé une ligne, sont seuls sur scène et utilisent divers accessoire, gourde ou bouteille pour figurer les personnages. L’analyse sociologique devient récit, souvent drôle dans son outrance, et édifiant dans son exemplarité. Ne se départissant pas de leur bonne humeur, les deux sociologues rapportent les propos échangés dans cette assistance surchauffée. La Monique sur scène est aussi avenante que la vraie, et le Michel campé par David Ruellan - par ailleurs adaptateur du livre de Monique et Michel Pincon-Charlot – aussi discret que l’était Michel (décédé en 2022). « C’était impensable ce qui allait arriver », témoigne la véritable sociologue présente le soir de notre venue, « Jusqu’à présent, tout se réglait en coulisses et le ton ne montait jamais ». En mettant sur scène de manière simple et évidente l’illustration de ce que les deux sociologues décrivent comme la traduction « des distances sociales en distances spatiales », la metteuse en scène entend faire du théâtre « de questionnement, du théâtre-récit », et c’est plutôt réussi.
En 2007, Michel et Monique Pinçon-Charlot ont pris leur retraite et ce sont ainsi libérés de la réserve liée à leur statut de chercheurs du CNRS. Ils ont poursuivi leurs recherches à la découverte de la grande bourgeoisie, désormais parés du flambeau de la militance de gauche. Que l’on partage ou pas les idées des sociologues, on appréciera le côté comique de cette comédie du réel, modeste mais efficace. Et parce que c’est un récit documentaire et documenté, il est important d’écrire ici que le centre d’hébergement a été construit, qu’il est toujours en place, malgré deux tentatives d’incendies criminels.

Eric Dotter



 
 
 
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