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Un démocrate (jusqu'au 26 avril)
le 23/04/2025
au
théâtre de La Concorde – salle Pierre Cardin, 1-3 avenue Gabriel 75008 Paris (les 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 22, 23, 24, 25 et 26 avril à 20h)
Mise en scène de Julie Timmerman avec Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Guillaume Fafiotte ou Jean-Baptiste Verquin (en alternance), et Julie Timmerman écrit par Julie Timmerman
« Pas de démocratie sans capitalisme ! ». Cri du cœur ou pur slogan d’un homme qui en écrivit tant ? C’est en substance à ce raccourci que l’on pourrait résumer la vie d’Edward Bernays (1891-1995), « double » neveu de Freud qui inventa la communication moderne. Julie Timmerman s’est penchée sur l’« œuvre » de celui qui s’attribua le nom de conseiller en relations publiques : « on ne sait pas ce que c’est mais on sait que c’est quelque chose », dit-il cyniquement. Au moment où son oncle, Sigmund Freud, traite les américains de « barbares à dollars », son neveu Bernays contribue à la richesse des grandes firmes US. Celui qui commença sa vie comme journaliste médical devient vite celui qui « souffle des rêves aux gens avant qu’ils ne les aient (eux-mêmes) ». Comme un marionnettiste tirant des fils, Bernays use alternativement des ressorts qui meuvent l’individu : « si désir et peur n’ont pas marché ; convoquez l’autorité », professe-t-il ainsi doctement à l’un de ses clients. Comment ? En ne vendant surtout pas, mais en amenant à acheter. Bernays n’est pas un publicitaire, il invente une forme plus insidieuse de s’adresser aux masses (l’individu lui est indifférent) de manière émotionnelle et segmentaire. Ca vous rappelle quelque chose ? C’est normal, Bernays est présenté dans « un démocrate » comme une sorte de précurseur de la fake news, de la poste vérité. Et le fait est que l’on est surpris de l’acuité et de l’actualité du propos développé par Julie Timmerman, l’autrice, metteuse en scène et l’une des actrices incarnant ce spectacle passionnant, didactique sans en avoir l’air et dynamique. Loin de proposer une conférence rébarbative ou un biopic nous narrant la vie d’un parangon de la société de consommation US avant la lettre, « un démocrate » nous offre un récit varié où le rôle de Bernays circule de comédien en comédienne, où la forme est tantôt chorale ou solitaire. Parmi les situations ou Bernay s’est illustré, deux sont particulièrement marquantes car elles font toucher du doigt l’absence totale de scrupules du personnage. La première met en scène un magnat états-unien de la banane désireux de récupérer les terres qu’il dédie au fruit au Guatemala, alors qu’elles sont menacées de récupération par l’état. Quelques slogans, une vérité alternative à base de menace de communisme, et l’envoi d’un dictateur fantoche et hop, le tour est joué, Bernays a injecté le poison de la contre-vérité à des vues purement mercantiles. L’autre présente le PDG de Lucky Strike, décidé à booster la vente de ses mortelles cigarettes. Bernays l’aidera à rendre moderne et tendance le geste de fumer, particulièrement chez les femmes, et ce, sans avoir jamais « fait l’article ». Non seulement, le récit est documenté et puissant mais à aucun moment il n’entreprend de nous faire la leçon. Si les personnages sont tirés à gros traits (le PDG de Lucky Strike en cow-boy, Freud en homme au cigare), l’autrice-metteuse en scène ne perd jamais de vue ni le spectateur ni l’efficacité du récit. Un dispositif scénique simple et ingénieux offre aux comédiens, tous excellents, une aire de jeu toujours mouvante et transformable à souhait. A titre de préambule, Julie Timmerman nous informe que la pièce a 9 ans d’âge mais force est de constater que presque chacune de ses répliques est d’une actualité non par criante mais presque hurlante… Et comme le dit l’une des comédiennes avant que la lumière de la salle ne soit éteinte : « c’est notre métier (à nous comédiens) le mensonge, s’ils le font dehors, qu’est-ce qu’il nous reste ? ». « Un démocrate » réunissant un texte excellent, dramaturgie cohérente, belle troupe de comédiens et scénographie inventive, il est plus qu’urgent de se rendre au théâtre de la Concorde. Doit-on vous rappeler qui trône à la Maison Blanche ?
Eric Dotter
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