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La grande magie (jusqu'au 12 avril)
le 01/04/2025
au
théâtre de la Ville de Paris/Les Abbeesses, 31 rue des Abbesses 75018 Paris (à 20h sauf le 12/04 à 15h)
Mise en scène de Emmanuel Demarcy-Mota avec Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Marie-France Alvarez, Céline Carrère, Jauris Casanova, Sandra Faure, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Isis Ravel et Pascal Vuillemot écrit par Edouardo de Filippo
Cet été-là, une fois de plus, l’assemblée des oisifs en bord de mer se retrouve dans le salon de l’hôtel Métropole. On s’ennuie entre soi, alors on joue aux cartes, et on perpétue une tradition à laquelle on ne manquerait pour rien au monde : on désigne le couple qui sera l’attraction de la saison. Cette année, c’est aux Di Spelta que revient cet honneur. Un couple à couteaux tirés. Mais déjà, une autre rumeur bruisse, il va arriver et bientôt il est là ! Lui c’est le magicien, Otto Marvuglia, et son bagout plein de promesses : « je possède le 3ème œil… je sens que nous allons bien nous amuser ». Sa prophétie presque menaçante est bien en dessous de la réalité. Otto, sa femme Zaïra et ses comparses Gervasio et Arturo sont loin de la renommée qu’ils souhaiteraient avoir. Plus habitués des hôtels que des scènes internationales, ils sont toutefois experts dans la magie, leur art, et notamment, dans celui de la disparition. Voilà qui pourrait bien arranger les affaires de Di Spelta, désireux d’échapper à la jalousie de sa femme et de rejoindre sa maitresse. Au-delà d’une simple histoire de sarcophage d’opérette à double fond qui arrange bien un mari volage, « La grande magie » nous entraine dans un tourbillon où « tout est jeu et illusion ». Bientôt, le spectateur est transporté dans le cabinet du magicien, lieu de ses expérimentations. L’endroit est peuplé de fantômes, de meubles et de personnages qui disparaissent au gré de la rotation d’une spirale hypnotique. Le jeu n’est désormais plus innocent et les manipulations réciproques mènent inévitablement vers la folie. Désormais, il n’est plus question d’une simple magie de cabaret, mais de manipulation inversée, dans laquelle les cartes de la vie sont rebattues. Pour citer le metteur en scène, l’existence y est représentée comme « un étrange jeu de rôles, et la réalité (…) le fruit de notre imaginaire » C’est une pièce dense, toutes en circonvolution et en labyrinthe que cette « Grande magie ». Débutant comme un drame bourgeois, Emmanuel Demarcy-Mota, le metteur en scène, la tire bientôt vers David Lynch. Une boite mystérieuse, un décor en lignes lumineuses mouvantes, il n’en fallait pas plus pour faire inévitablement penser à Twin Peaks et à son univers énigmatique voire fantomatique. Les comédiens y sont tous impeccables, mais Serge Maggiani, qui joue le magicien Otto Marvuglia, est l’objet de toute notre attention : bonhomme voire sympathique, il n’en est pas moins inquiétant car dangereux. Si le spectateur se perd souvent dans les nombreuses digressions dramaturgiques, s’il croule un peu sous l’abondance des scènes et des décors, force est de reconnaitre à « La grande magie », une puissance évocatrice et métaphysique. On tente le rationnel, on résiste et on finit par céder à ce spectacle tourbillonnant comme le plateau du théâtre des Abbesses. On en sort avec la tête qui tourne un peu mais les yeux remplis d’images. Après tout, comme le dit le magicien, ne sommes-nous pas tous que des images ?
Eric Dotter
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