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Et j’en suis là de mes rêveries (jusqu’au 11 avril
le 31/03/2025
au
théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette 75011 Paris (19h, samedi à 16h – relâche les 03 et 06/04)
Mise en scène de Maurin Ollès avec Pierre Maillet, Maurin Ollès et la participation en images de Ferdinand Garceau, Jean-François Lapalus et Julien Villa écrit par Alain Guiraudie
Tenue de cycliste, silhouette ronde d’homme mur, il est là devant nous, sur le plateau du théâtre de la Bastille, Jacques, le héros du très épais roman d’Alain Guiraudie « Rabalaïre » (plus de mille pages). Pour que l’on comprenne bien que l’on est en présence d’un hommage à l’écrivain-cinéaste, le comédien entre sur le plateau avec le livre sous le bras. Jacques vit en Aveyron, le chômage lui laissant du temps libre, il passe se journées entre vélo, « la bonne hauteur, un bon moyen de découvrir le monde », rencontres de hasard, et temps passé avec son amant Bruno. Bref, c’est un « Rabalaïre », un « mec qui va à droite, à gauche, un mec qui aime bien aller chez les gens » comme l’écrit Guiraudie. Et Jaques, les gens, il les aime bien. Notamment la tenancière d’un café dans lequel il entre au hasard. A tel point qu’il se retrouve invité spontanément à la veillée funèbre du monsieur et à rester dormir chez sa veuve. Une rencontre qui lui permet une autre rencontre, avec un homme d’Eglise. Jacques prend la vie et les gens tels qu’ils viennent, avec spontanéité, bonhommie et simplicité. Au point de s’attirer parfois des inimitiés avec le fils de la veuve, ou de très fortes amitiés, avec le curé de la paroisse notamment. Le style de Guiraudie est inimitable. Mélange de situations cocasses, d’intrigues policières et d’amours masculines, sa fluidité empêche au lecteur, ou au spectateur d’émettre tout jugement sur la moralité parfois douteuse des personnages. Maurin Ollès revendique sa grande admiration à l’écrivain-cinéaste et son spectacle rend un vibrant hommage à son œuvre. On a vu un Jacques jeune et troublant dans « Miséricorde », le dernier film de Guiraudie, le voici évident et entre deux âges sous les traits de Pierre Maillet, troublant de simplicité et d’authenticité avec son accent du Sud-ouest. Face à lui, c’est l’auteur-metteur en scène de cette adaptation qui revêt les traits des autres personnages. Effet de miroir totalement revendiqué par la mise en scène, le spectacle est soudainement interrompu par la projection-un peu longue- d’un film prolongeant l’intrigue montrée en plateau. Et le metteur en scène de refaire sortir son comédien de l’écran en le remettant sur scène. L’effet est saisissant ! Infortune ou chance, « Miséricorde », le film de Guiraudie est sorti le lendemain de la première du spectacle, actuellement repris au théâtre de la Bastille. Autre hasard, parmi les multiples histoires narrées au fil des plus de 1000 pages de Rabalaïre, le cinéaste et le metteur en scène ont décidé de s’intéresser à la même. Effet de cette concordance des temps, le spectateur du film éprouve un léger effet de redondance à la vue de « Et j’en suis là de mes rêveries ». Qu’importe, il s’agit là d’un tout autre objet et, si l’intrigue est identique, la déclinaison artistique et scénique est tout autre. Que vous soyez un connaisseur de l’œuvre de Guiraudie ou curieux de découvrir un style à part, vous aimerez sûrement ce réjouissant spectacle sans artifices mais bourré de talent.
Eric Dotter
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