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- BD : Simenon - Les clients d'Avrenos de Jean-luc Fromental (dessin de Laureline Mattiussi) aux éditions Dargaud
le 31/01/2025
Ankara, 1935. Au cabaret du Chat noir, Bernard de Jonsac, attaché à l'ambassade de France en Turquie, boit un verre avec Nouchi, une petite entraîneuse hongroise. Sans le sou, celle-ci lui demande de l'emmener avec lui à Stamboul. Nouchi rêve d'autres horizons, d'une vie meilleure. Elle rêve surtout d'argent qui coulerait à flots, car « c'est trop bête d'être pauvre ». À Stamboul, Jonsac l'emmène dans des demeures élégantes sur les rives du Bosphore, et l'introduit dans son cercle de connaissances, une petite confrérie qui se réunit à la taverne d'Avrenos. Nouchi fait sensation auprès de ses amis, amateurs de haschich et de poésie, accros aux palabres et à la vie de bohème. Mais elle a « horreur des hommes », comme elle le dit elle-même. Sa relation étrange avec Jonsac, qui lui propose de l'épouser pour lui éviter d'être expulsée, reste platonique, au grand désespoir de celui-ci. Nouchi continue cependant à faire tourner la tête de ceux qu'elle rencontre, mais un drame bouleversera bientôt cette vie terne et nonchalante, pleine d'insouciance et de plaisirs, qui les tirera de cette douce torpeur...
Une atmosphère languide - celle des nuits stambouliotes chargées d'effluves de de musiques -, des personnages équivoques hantés par des histoires personnelles dont ils ne parviennent pas à s'extraire, des jeux de séduction apparemment futiles mais lourds de non-dits et de violence cachée, tout un monde enfin qui semble sur le point de s'effondrer sans que l'on sache très bien pourquoi. Ce n'est pas un hasard si, en fin connaisseur de l'oeuvre de Simenon (il a déjà adapté "La neige était sale"), Jean-Luc Fromental a choisi d'adapter Les clients d'Avrenos : tout ce qui fait la force des grands "romans durs" de l'écrivain belge s'y trouve ! Avec un art consommé du dialogue et de la narration, ce scénariste cisèle des scènes fortes et consices d'où sort une lancinante inquiétude. Ce climat étrange est renforcé par le dessin fin et expressif au trait sensible de Laureline Mattiussi, chargé de jeux d'ombres subtils et de noirs épais, et rehaussé par les applats de couleurs d'Isabelle Merlet et Jean-Jacques Rouger, qui semble toujours hésiter sur la bonne distance à laquelle placer les personnages. Un travail d'orfèvre !
-Les auteurs : *Après dix ans dans l'édition, Jean-Luc Fromental se tourne vers la presse, la publicité, la télévision et, bien sûr, la bande dessinée. En 1981, il crée (avec José-Louis Bocquet) L'Année de la bande dessinée. En 1983, il lance le bimestriel ‘Métal Aventure' et en 1985 et 1986, occupe le fauteuil de rédacteur en chef du mythique ‘Métal hurlant‘. En 1986, il fait ses premières armes dans le dessin animé en coscénarisant la série "Bleu, l'enfant de la Terre", réalisée par Philippe Druillet, puis il travaille en 1991 sur le projet de long-métrage de Moebius, "Starwatcher". En 1994, il conçoit la série animée "Il était une fois" pour 26 dessinateurs de BD. Il crée d'autres séries pour la télévision : "Witch World" (avec Colin Hawkins, 1997), "Les Renés" (avec Hervé Di Rosa, 2000) et "Mandarine & Cow" (2007). En 2001, il participe à la série "Lucky Luke" comme directeur d'écriture et scénariste. Il s'oriente ensuite vers le long-métrage d'animation, avec l'adaptation du roman de Roy Lewis "Pourquoi j'ai [pas] mangé mon père", réalisé par Djamel Debouzze, et l'écriture, avec Grégoire Solotareff, des scénarios de "Loulou et autres loups" (2002) et de "Loulou, l'incroyable secret" (2013). Jean-Luc Fromental reste en contact avec le papier, publiant régulièrement pour la jeunesse, notamment le très remarqué "365 Pingouins" (2006, Naïve), avec Joëlle Jolivet. En 2003, il revient vers l'édition en créant au sein de la maison Denoël le label de bande dessinée adulte Denoël Graphic qui a, entre autres, publié "Tamara Drewe" (2008), de Posy Simmonds, "La Genèse" (2009), de Robert Crumb ou encore "Préférence système" d'Ugo Bienvenu (2019). Jean-Luc Fromental s'est aussi illustré comme scénariste de bandes dessinées, écrivant pour des artistes tels que Floc'h, Loustal, Stanislas Barthélémy ("Les Aventures d'Hergé", 1999, Reporter), Yves Chaland, Blexbolex, Miles Hyman ("Le Coup de Prague", 2017, Dupuis), Jano, Philippe Berthet ("De l'autre côté de la frontière", 2020, Dargaud). Il est l'auteur d'une trentaine de romans, récits de voyage, contes et bandes dessinées. En 2022, il retrouve José-Louis Bocquet et co-signe le scénario de "Huit heures à Berlin", le 29e tome de Blake et Mortimer dessiné par Antoine Aubin.
*Laureline Mattiussi est autrice de bande dessinée et illustratrice. Elle se fait remarquer dans le paysage de la bande dessinée avec L'Île au Poulailler (Glénat – Treize étrange, prix Artémisia 2010), une histoire de piraterie entre hommage au genre, fable sans réelle morale et réappropriation ironique, servie par les couleurs d'Isabelle Merlet ; elle réalise ensuite La Lionne (Glénat – Treize Étrange) sur un scénario de Sol Hess, un récit onirique et violent bercé par les vers de Catulle, avec pour toile de fond les eaux fangeuses de la Rome antique rongée par la peste. Avec Je viens de m'échapper du ciel (Casterman), une adaptation de nouvelles de Carlos Salem, elle livre son goût pour un dessin en noir et blanc, tout en ombre et en lumière. Son dernier livre, Cocteau, l'enfant terrible, est sorti en septembre 2020 aux éditions Casterman. Laureline Mattiussi collabore aussi depuis une dizaine d'année avec de nombreux musiciens, comédiens et auteurs pour des spectacles dessinés. En 2020 et 2021, elle a exposé une quarantaine d'oeuvres dans la collection permanente du musée de la Musique de la Philharmonie de Paris. En 2023, Laureline Mattiussi rejoint les éditions Dargaud et embarque pour l'aventure Simenon avec la mise en images d'un roman du célèbre auteur belge : Les Clients d'Avrenos (Dargaud, 2024).
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